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Au cabinet médical (épidode 11 Un papillon dans un bocal)

Au cabinet médical

Le cabinet du Docteur Delamitte se trouvait au rez-de-chaussée d’une rue étroite, derrière le port du Palais, entre la boutique d’un marchand de souvenirs avec étalage d’articles de pêche, et celle d’un marchand d’articles de pêche, avec un étalage extérieur proposant des souvenirs.

Flûte enchantée

Flûte enchantée

« Sonnez et entrez ». La sonnette ne fonctionnant plus, il entra précipitamment, la gorge en feu, toussant encore et respirant bruyamment, avec difficulté.

«Présentez-vous au secrétariat » : une flèche sur un panneau indiquait le petit bureau en retrait, en fond de pièce d’attente. Mais il n’y avait personne dans ce réduit.

Dufilet recommençait à paniquer quand le Docteur Delamitte sortit de son bureau, à l’opposé du secrétariat vide.

« Tiens, c’est vous, Commissaire ? Ca n’a pas l’air d’aller fort. Venez avec moi. »

Les bronches de Robin Dufilet sifflaient, et pas un air de la Flûte Enchantée. Le visage encore empourpré, il tenta d’expliquer d’une voix nasillarde et cassée qu’il venait d’avaler un bonbon de travers, juste en sortant d’une crêperie.

Avec une solennité rassurante, Delamitte ausculta les bronches, le cœur, et jeta un œil vers la luette de son malade.

« Bon, c’est bien rouge tout ça, et ca siffle comme le train dans vos poumons ».

Vous avez la gorge très irritée. L’angoisse a fait le reste : une belle crise d’asthme.

Vous allez sucer ceci, en le laissant sous la langue (il lui tendit un tout petit comprimé) et prendre une bouffée de cela, en l’inhalant bien à fond (il lui tendit une sorte d’extincteur miniature).

Trente secondes plus tard, Dufilet se détendit.

« Merci Docteur, je n’en pouvais plus.

-j’ai toujours pensé que les crêperies étaient des lieux inhospitaliers, et je n’aurais pas pensé que vous fréquentiez ces attrape-touristes.

-Moi de même, figurez-vous, mais jusqu’au dernier moment, dans celle-là, j’avais cru au miracle ».

Lui tendant une ordonnance, le Docteur Delamitte poursuivit :

« Allez chercher cela à la pharmacie. Ce sont des sortes de capsules, et poursuivez les inhalations pendant trois jours à raison de trois par jour…Et arrêtez de fumer.

Au fait, quand vous faites cela, vous avez encore mal là ?

-Non, Monsieur. Plus du tout, merci. Combien vous dois-je ?

-Ce ne sera rien, Commissaire. Ou plutôt, si. Venez manger un de ces soirs à la maison. J’y suis tous les soirs sauf urgence. Et amenez une bonne bouteille. J’ai à vous parler de la vie sur l’île. »

Le commissaire sortit. La pharmacie se trouvait sur la petite place, entre deux hôtels restaurants. L’un proposait du bar en papillote en plat du jour, toute la semaine, au déjeuner. L’autre du bar, en papillote également, mais à la carte, et tous les midis.

A la pharmacie, la clochette de la porte fonctionnait. Une musique assez tragique emplissait le commerce. Du Haendel, une sarabande.

La pharmacienne lui remit le médicament prescrit.

-« C’est curieux, chère Madame. On dirait que sur cette île, bien peu de gens se passent de grande musique!

-Surtout l’été. Les touristes adorent. Je dois dire que ce sont eux qui nous ont appris à aimer.

-Cette sarabande est poignante. Vous savez ce qu’elle m’évoque ? Beethoven, qui traduira le même drame de vivre, mais non point avec ce fatalisme encore religieux chez Haendel… »

La pharmacienne l’interrompit aussitôt :

« -Au revoir Monsieur, excusez-moi, j’ai des commandes à préparer et je ne connais pas du tout la personne dont vous parlez ».

Fort surpris, Dufilet sortit de la pharmacie. Au-dessus de la porte vitrée, il remarqua deux petits animaux en imitation cristal.

Une sorte de lémurien et un gros singe, bras levés.

Cela, par contre, l’étonna beaucoup moins.

Il reprit la navette en fin d’après-midi, d’abord parce qu’il était convoqué au tribunal, chez le procureur, mais surtout parce qu’il était bien décidé à rechercher sa femme.