Epilogue: L’explosion du bocal (un papillon dans un bocal – episode 17)

C’est le dernier épisode du texte de Pascal Dazin, que le Centre de Cri a été heureux de publier, et qui reviendra bientôt avec d’autres nouvelles. Ceux veulent lire les 17 épisodes doivent cliquer le papillon, à droite. Le blog n’explosera pas!!!

En rentrant à l’hôtel, il savait qu’il ne trouverait aucun passage physique des tenants de l’Ancien Peuple. Ni menace, s’il était trop bête pour évoluer, ni récompense, s’il était assez intelligent pour le faire.

L’hôtesse avait terminé son service, et laissé le même petit mot sur le même papier. Il coupa «une Nuit sur le Mont Chauve» avant de se coucher. S’ils espéraient lui faire peur, c’étaient à présent eux qui se faisaient des illusions.

Dès le lendemain matin, il reprit la navette. Bien que se pressant, il remarqua à l’étalage du marchand de souvenirs une petite statuette en coquillages multiformes et multicolores, sur socle doré: un raton-laveur, emblème de l’Ile. La phrase « Belle-île, île de pureté » était écrite sur le socle. Le marchand d’articles de pêche venait de sortir le même type de souvenir, mais représentant un gorille tenant une canne à pêche. Au bout du fil, un poisson s’agitait. Et sur le socle, un autre slogan: « l’assiduité, qualité des pêcheurs sereins« 

Pascal Dazin

Pascal Dazin

Durant la traversée, il reconnut «le fou de basson», qui le salua sur le pont avant. De loin, soulevant son bonnet rouge comme le front d’un pic-vert, il lui cria joyeusement: « Salut pèlerin! Vous avez l’air plus en forme, aujourd’hui!»

Un goéland marin accompagna la navette sur tout le trajet, restant à sa hauteur, à l’arrière du bateau. Il se demanda si c’était Farfalle, ou Delamitte, déguisées en oiseau, et s’il l’accompagnait lui, le commissaire Dufilet, récemment déniaisé, ou Alan Guillemot, devenu fou de plus longue date.

Peu importait, du reste. Les touristes admiraient le paysage, en suçant des bonbons achetés sur le port: des petits bonbons à la menthe, en forme de capsules. Typique. On les appelait « les bêtises de Belle-île« , parait-il.

Lorsqu’il se trouva quelques heures plus tard devant la porte de son appartement, il découvrit une petite cordelette marine nouée autour de la poignée. Il la laissa, estimant que c’était sa place.

A l’intérieur de l’appartement, il n’y avait plus rien. C’est-à-dire qu’il n’y avait plus que les vestiges d’un ancien monde, perdu corps et biens.

Il faisait froid, humide. Tout semblait déjà figé dans le passé.

Dufilet comprit qu’il était temps de partir.

Les seuls objets encore animés étaient deux poissons, contemplant les limites invisibles de leur bocal. Ils ressemblaient encore à ce qu’il avait été lui-même, se croyant au monde parce qu’il ouvrait la télé ou exécutait les ordres de ses supérieurs.

Les jolis poissons ne voyaient pas leur cage transparente.

Une question saugrenue lui vint à l’esprit: Beethoven, qui aimait tant écouter les oiseaux avant son infirmité, et qui avait mûri « La Joie » durant tout son âge, savait-il donc voler, lui aussi?

Le commissaire était dans un état d’épuisement mental inédit chez lui. Il regarda par la fenêtre les toitures de zinc des habitations voisines. Un lourd pigeon, tremblotant et roucoulant comme on ferait des bulles, le fixait d’un œil trop brillant.

Il eut très mal au dos, bien plus que d’habitude.

Alors, peut-être…

P. Dazin, 26 mai 2009

Pourquoi ne donne-t-on rien aux enfants? (Episode 16 Un papillon dans un bocal épisode 16)

Ou Belle l’Ile, la belle île, paradis des résidents, livre enfin son horrible mystère…

Sans attendre la réponse – car ce n’était pas précisément une question -, Delamitte se rendit à la cuisine, et revint peu après avec un grand plateau vaguement rond et d’épaisseur irrégulière. Une tranche d’arbre, pensa le commissaire Dufilet. Avec des tranches de pain dessus, et des fruits de mer, des pâtes, et un petit pot de parmesan.

Depuis quelques minutes, l’allegretto de Beethoven qui jusque là baignait la salle,  s’était tu.

«Allons manger tout cela sur la terrasse. Justement, le soleil couchant et les arbres vont s’endormir ensemble dans le piaillement des merles et grives. Si c’est une nuit de fête, vous aurez peut-être ensuite un chant choral:  ici les hulottes et les effraies discernent souvent ce que nous ne pouvons voir, et il suffit de les écouter pour l’apprendre. Prenez votre bonne bouteille, je vous prie. »

prison-enfance-delinquance

Tout en disposant les assiettes et plats sur la table de jardin, Delamitte poursuivit:

«L’or est partout, commissaire. Mais il n’est pas le même pour tout le monde.

Vous évoluez dans un monde où vous ne savez sans doute pas qu’il joue un rôle capital. Je parle de l’or vulgaire, celui qui fait briller les yeux des procureurs, des Adélaïde Balafenn, des gendarmes Le Du, et de tous ces autres , installés ou rêvant de l’être, dans les trois pouvoirs républicains. Ceux-là se gargarisent d’expressions telles que «la crise économique», «les impératifs budgétaires», «travailler plus pour consommer plus», «au nom des droits de l’Homme», «l’insécurité ambiante», «la racaille au kärcher», et de tant d’autres brillants poncifs.

Puis vous débarquez ici, mal accueilli par la gendarmerie, et entendez parler d’un tas d’or. Leur or, pas le vôtre, sans doute, ni le mien, assurément. Il était bien caché, dans les souterrains d’un ancien camp de redressement pour enfants. Ce sont trois stagiaires qui l’ont découvert. Elles ne savaient pas qu’il ne fallait rien découvrir, et être de zélés serviteur de l’Ordre, comme Le Du et sa gendarmerie. Elles paieront leur erreur,  soyez-en certain.

– Que me dites-vous là, Docteur ? (suite…)

L’or du Docteur Delamitte (Un papillon dans un bocal – épisode 15)

Le portail de la petite propriété du médecin étant ouvert, Robin Dufilet entra.

Il parcourut l’allée jusqu’à la maison, accompagné du chant des grives et des merles, qui s’égosillaient avant que ne vienne la nuit, et fut escorté par les genêts et les rhododendrons en fleurs, au garde à vous sur son passage.

danse@ Ossiane

Il n’eut pas non plus à sonner devant la porte d’entrée : celle-ci était entre baillée. Après avoir frappé sans obtenir de réponse, il se décida à entrer, sa bouteille de rosé en main.

(suite…)

Les adieux de Gwen (Un papillon dans un bocal épisode 13)

En rentrant chez lui, Dufilet était dans un état d’angoisse extrême: allait-il découvrir la raison pour laquelle sa femme restait introuvable, pour la première fois depuis leur union?

L’appartement était vide. Le distributeur automatique d’aliments dans le bocal de «Poisson d’amour» et de «mon bonbon rouge» était presque vide, lui aussi. Sa première tâche fut de le remplir pour trois jours au moins.

Ca «sentait le renfermé», comme disait toujours Gwen en pénétrant dans la chambre d’amis transformée en circuit ferroviaire miniature.

Le commissaire ouvrit deux fenêtres, afin de provoquer un courant d’air, et ressentit ce pincement au cœur, celui dont il avait parle au Docteur Delamitte, en pensant que personne dans l’appartement n’allait soupirer : «Ah ! On respire quand même un peu mieux !» (suite…)

Les adieux de Gwen (Un papillon dans un bocal épisode 13)

En rentrant chez lui, Dufilet était dans un état d’angoisse extrême : allait-il découvrir la raison pour laquelle sa femme restait introuvable, pour la première fois depuis leur union ?

L’appartement était vide. Le distributeur automatique d’aliments dans le bocal de « Poisson d’amour » et de «mon bonbon rouge» était presque vide, lui aussi. Sa première tâche fut de le remplir pour trois jours au moins.

Ca « sentait le renfermé », comme disait toujours Gwen en pénétrant dans la chambre d’amis transformée en circuit ferroviaire miniature.

(suite…)

La vision de Schmetterling (Un papillon dans un bocal épisode 12)

Ce n’était pas de gaîté de cœur que Robin Dufilet monta les marches du tribunal, jusqu’au bureau de Schmetterling.

En entrant, il sut qu’il était attendu avec impatience, tant l’huissier fit vite pour l’introduire. celui-ci, d’un geste sur un bouton mural, arrêta l’étude de Chopin en cours d’exécution.

La France en bâteau
La France en bâteau

Et dès que la porte fut refermée, le commissaire retrouva l’homme, ses bonbons et ses bouteilles de soda près de lui, et son air revêche. Gutman, dans le faucon Maltais. Mais avec un air plus méchant, à sa façon de jeter son regard plus brillant que perçant sur lui, et de trémuler encore plus ostensiblement que la première fois.

(suite…)

Au cabinet médical (épidode 11 Un papillon dans un bocal)

Au cabinet médical

Le cabinet du Docteur Delamitte se trouvait au rez-de-chaussée d’une rue étroite, derrière le port du Palais, entre la boutique d’un marchand de souvenirs avec étalage d’articles de pêche, et celle d’un marchand d’articles de pêche, avec un étalage extérieur proposant des souvenirs.

Flûte enchantée

Flûte enchantée

« Sonnez et entrez ». La sonnette ne fonctionnant plus, il entra précipitamment, la gorge en feu, toussant encore et respirant bruyamment, avec difficulté. (suite…)

L’après-midi d’un aphone (Un papillon dans un bocal épisode 10)

Des perturbations entrainent un retard dans la publication du Mercredi, nous retrouvons la nouvelle de Pascal Dazin avec un jour de retard. Ne manquez pas demain, avec un jour de retard également, la tournée du facteur dans le cadre de notre Événement du Jeudi qui sera exceptionnellement publié le Vendredi!

Poursuivant sa promenade près de la pointe des Poulains, le Commissaire croisa une crêperie.

Il avait toujours eu horreur des crêpes et des galettes. Des plats fades, mous, avalés en trois bouchées, avec cette traditionnelle bolée de cidre qui éclabousse le nez dès qu’on l’approche des lèvres, et qui sent le sucre plus que la pomme.

Mozart avait l'oreille

Mozart avait l'oreille

Il ne pouvait d’ailleurs affirmer s’il avait plus d’aversion pour les crêpes que pour les galettes, les deux produits ayant la même propension à se couler dans l’œsophage avant même qu’on n’ait réussi à en mâcher la substance. (suite…)

Le fou de basson des bois (Un papillon dans un bocal épisode 9)

Le fou de basson des bois

Le lendemain matin, Dufilet n’était pas de service. Il décida d’oublier un moment les affaires de faux suicide et de vraie crainte de secte, se disant que si ces prémonitions s’avéraient exactes, ou avaient un tant soi peu de prise avec la réalité, il se retrouverait au pire avec une cordelette au cou, et au mieux muté à Valenciennes.

Alain Guillou Wild Image Quest

Tout cela le dépassait.

 » Tout cela « , c’était ce Farfalle suicidé, mais toujours vivant, ayant traversé comme par magie les airs et les mers,

c’était sa femme, sa petite sole à dorer, évaporée du jour au lendemain au Maghreb alors qu’ils s’aimaient comme des esturgeons et frayaient comme des saumons, du moins au début. Son petit poisson rose, enfui bien loin dans le harem d’un renard des tribunaux, d’un loup de mer, d’un psychiatre agréé qui se comportait plutôt comme un gourou, alimentant son repaire en femmes désorientées,

c’était la tante de sa femme, réputée dérangée, (suite…)

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