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Petite farce (géométrique) de la mort

Il y a de ces figures que le hasard dessine avec les émotions, ça va trop vite, les villes sont trop spirituelles. C’est comme si elles ne cessaient de nous envoyer des messages. Si on est trop paranoïaque, on risque de croire que ce sont des messages personnels. René Char appelle ça des hasards objectifs. Et encore, en ville ce n’est pas pire que l’internet, mais je vais vous raconter ce qui m’est arrivé.

comedie

Place de la Comédie, je sais pas le nom du gars devant l'opéra


L’autre jour, en m’engageant rue des Estuves derrière l’opéra, une très jolie jeune femme marchait à mes côtés. Tandis que je tournais la tête pour mieux la voir, une vieille femme est entrée dans mon champ de vision, marchant derrière. J’ai donc tourné la tête encore plus et j’ai reconnu Simone.

«Simone, quel plaisir de te revoir!»

Moi qui avait toujours eu tellement de mal à la tutoyer, à cause de l’écart de l’âge, je n’avais plus du tout de problème. Ca faisait au moins dix ans que je ne l’avais plus revu. Et il avait fallu un passage éclair dans cette ville pour tomber sur elle.

«Que deviens-tu? – Je vieillis…»

Et en effet, elle ne se teignait plus les cheveux, elle était plus grand-mère qu’autrefois. Mais elle ressemblait davantage à sa fille, c’est curieux, par une invraisemblance de la complication du temps.

«Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de la mort de Loÿs, je ne pouvais pas rester à la maison, c’est trop dur, il fallait que je sorte. Ca tombe bien, je dois acheter des chaussures.»

Dix ans pile qu’il était parti, son époux. Et je rencontrais Simone justement ce jour-là. Loÿs, un gaillard que j’aimais bien, breton, têtu, râleur, on s’était disputé un peu avant la maladie mortelle qui l’avait emporté, à propos d’une histoire de plomberie (il était plombier). On ne s’est donc plus jamais revu. La plomberie n’était qu’un prétexte. Tout ça, c’était des histoires plus profondes entre nous, plus souterraines, je ne vais pas vous raconter ma vie.

Je ne sais pas pourquoi Simone était pressée. Elle s’est arrêtée devant la boutique Geox et m’a signifié qu’on devait se laisser. Elle avait peut-être le sentiment de trahir Loÿs en me parlant. De toute façon, j’avais rendez-vous au Dôme avec Ludi, ça tombait bien.

Le plus étrange c’est que quelques pas plus loin, après l’église dont j’ignore le nom, je me suis retourné les larmes aux yeux pour contempler l’enseigne de Geox. Lieu quelconque sur la terre que l’internet réduit à un point X, dirait Peter Sloterdijk.

Puis, me retournant pour continuer ma route, j’ai levé les yeux sur la plaque de la rue perpendiculaire, la rue Loÿs.

2 thoughts on “Petite farce (géométrique) de la mort

  1. AH! j’ai compris! La comédie c’est la place et c’est la farce, donc la farce de la comédie.
    Et que quand on regarde la photo y a des lignes et des trajectoires alors c’est la géométrie. La métrie c’est à cause de Géox, la vapeur qui sort des trous dans la rue des estuves. Voilà je pense donc je trouve, des raisons aux explications du sens qui se dégage sous les pas laissés par l’emprunte des mots mis là pour s’y nie-fier.
    Sinon qu’est ce que ça voudrais dire tout ça si ça n’a de sens qu’à rebours.
    On n’écrit pas pour rien dire que je sache ! Et de thé pour la farce.

  2. Bonjour monsieur Monsieur,

    Oui, l’auteur de la farce n’est pas celui qu’on croit et bien con y mal y pense. Comprendre à la fin c’est dur quand on refuse de lire en prenant la gauche, ce n’est pas donné à tout le monde. D’où l’idée éventuellement de la boussole si on veut bien la croire, ce qui m’étonnerait, car on sait que la Comédie déforme tout, même en ville. La liberté des champs, y a que ça quand même.

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