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Les adieux de Gwen (Un papillon dans un bocal épisode 13)

En rentrant chez lui, Dufilet était dans un état d’angoisse extrême : allait-il découvrir la raison pour laquelle sa femme restait introuvable, pour la première fois depuis leur union ?

L’appartement était vide. Le distributeur automatique d’aliments dans le bocal de « Poisson d’amour » et de «mon bonbon rouge» était presque vide, lui aussi. Sa première tâche fut de le remplir pour trois jours au moins.

Ca « sentait le renfermé », comme disait toujours Gwen en pénétrant dans la chambre d’amis transformée en circuit ferroviaire miniature.

Le commissaire ouvrit deux fenêtres, afin de provoquer un courant d’air, et ressentit ce pincement au cœur, celui dont il avait parle au Docteur Delamitte, en pensant que personne dans l’appartement n’allait soupirer : « Ah ! On respire quand même un peu mieux ! »

Puis, métier oblige, il chercha des indices. Mais cette fois, l’œuvre était amère. Il s’agissait de chercher où sa femme pouvait bien être.

Il constata d’abord que la garde-robe de sa femme avait disparu. Penderie, tiroirs, salle de bains, portemanteau, etc : plus rien ne rappelait que sa truite avait vécu dans l’appartement.

Alors, pour la première fois, il ouvrit le « tiroir secret », dans la commode de la salle à manger. Il y avait longtemps déjà, Gwen lui avait demandé de lui laisser ce tiroir, qu’elle ne fermerait d’ailleurs même pas à clé par confiance en lui, et où elle aurait le loisir d’entreposer « son petit étang privé », ainsi qu’elle avait appelé ses souvenirs intimes où les petites choses qu’elle gardait pour elle sans en parler à personne. « A personne, mon brochet. Ni à toi, ni à mes amies, ni même à mon psychiatre ».

Son mari avait accepté. Il se disait que les jardins secrets, c’est une soupape de sécurité. Ils empêchent les rapports fusionnels, trop souvent préjudiciables aux couples.

De même qu’il avait toujours pensé qu’un psychiatre vaut mieux qu’un amant.

Mais à ce moment précis, il y avait prescription. Car il se pouvait parfaitement que Gwen fût en danger, et c’est elle qui le remercierait s’il se donnait tous les moyens pour la retrouver.

Le grand tiroir, celui du bas, le plus profond, s’étirait sur toute la largeur de la commode. Il l’ouvrit lentement, avec grand respect, sans faire de bruit. Pour se prouver qu’il ne profanait pas les lieux privés de sa femme.

Il découvrit alors qu’il n’y avait presque rien, dans ce tiroir. Est-ce que cela avait toujours été le cas ? Il n’aurait bien sûr pas pu le dire. Deux objets, seulement. A gauche, une chemise rose contenant des papiers. A droite, une grosse boite en bois verni.

Dufilet ouvrit la chemise, et découvrit une centaine d’ordonnances du Docteur Borboleta, classées par ordre chronologique, au vu des dates figurant en haut de ces feuillets.

Et sur chaque ordonnance, le nom de son épouse, et la même prescription : « Parastress 20 mg, trois capsules par jour, quantité suffisante pour un mois.

Le commissaire en déduisit deux choses : Borboleta lui remettait une ordonnance toutes les quatre visites, mais sa femme n’allait pas acheter le médicament. « Au vu des faits », et « un point c’est clair », se dit-il en se souvenant des tics de langage du brigadier-chef Le Bellec et du procureur Schmetterling.

Puis il sortit la boite en bois verni, et l’ouvrit. C’était une boite à musique. Il se souvint alors que c’était lui qui l’avait offerte à sa femme, lors de leur seconde rencontre. Elle lui avait confier « adorer » la sonate aux Adieux, de Beethoven, et il s’était ingénié à trouver un mécanisme reproduisant l’air de cette sonate. Gwen avait été surprise, ravie, et ils avaient été manger ensemble dans un restaurant spécialisé dans les poissons. Ensuite, tout avait vraiment commencé, entre eux.

Cette boite, il ne s’en souvenait plus, tant il y avait eu de cadeaux ensuite, d’événements amoureux, d’échanges de mots doux et si poétiques, comme elle en avait le secret, et rien que pour lui…

La musique lui perça le cœur. Elle le catapulta vingt ans en arrière.

Ce soir-là, elle avait sa petite robe rouge, qui le fascinait, et lui avait enfilé son seul costume, celui que d’ailleurs elle lui fit bien vite changer ensuite…

Comme si la torture morale du commissaire, celle qu’il endurait par l’ensemble de ses constats, n’était suffisamment cruelle, il découvrit avec effroi que la boite ne contenait plus que deux bijoux, si tant est qu’elle en ait contenu d’autres. Deux pendentifs, représentant un bonbon en papillote et une capsule. Tous les deux semblaient être en or.

Etait-il donc écrit qu’il devait devenir fou?

A nouveau, le vertige le reprenait. Il se dirigea vers le lit, pour s’allonger un instant. C’est alors qu’il vit le feuillet, sur la couverture. Une lettre de Gwen, à l’encre bleue claire, comme d’habitude.

Assis sur le rebord, il découvrit alors ce que sa femme avait voulu lui écrire, avant son départ.

« Mon petit poisson-lune,

J’espère que tu n’auras pas trop mal : car je suis partie.

Nous ne nous sommes même pas dit adieu, et c’est mieux comme cela. Tu pourrais croire que c’est une fuite, provoquée par les mauvais souvenirs que tu as évoqué en me parlant de tante Adélaïde, et de ma famille. Mais ce n’est pas cela.

Toutes ces années, j’a été heureuse avec toi, surtout au début. Disons les trois premières années.

Ensuite, j’ai commencé à souffrir à nouveau de ces angoisses, de peur du vide, d’insomnies. J’étais comme un poisson de mer en eau plate.

Tu as vu comme cela me soulageait de rencontrer régulièrement le Docteur Borboleta. Tu as cru qu’il n’était que mon psychiatre. Or, je vais te faire de la peine, mon gardon, en t’avouant qu’il était plus que cela pour moi. Cet homme a un courage incroyable. Platement largué par sa femme, en plein désarroi, il trouvait encore le moyen de m’aider. Il a compris des choses que j’étais loin d’imaginer à mon sujet, et peu à peu, j’ai enfin pris confiance en moi. J’ai compris que le mot « bonheur » avait un sens, et que j’y avais droit, moi aussi.

Il possède une vaste villa au Maroc, qu’il a pu acheter en se dévouant durant des années à mieux comprendre les problèmes psychiatriques des gens qu’on présente à la Justice. Il a même trouvé une nouvelle maladie, et en cherche à présent le traitement.

Il n’y a pas que moi qu’il a aidé : des centaines de femmes ont retrouvé un semblant d’équilibre grâce à lui. Mais moi, je suis sa préférée, celle dont il a besoin pour poursuivre ses travaux. Aussi, pour la première fois de ma vie, je me sens vraiment utile. Je crois que tu me comprends, puisque je sais que tu m’aimes, mon petit têtard.

Tout cela pour te dire que je suis partie, que je ne reviendrai plus, mais que je t’aimerai toujours, bien sûr.

Occupe toi bien de nos poissons rouges, ne te tracasse plus pour toutes ces histoires de la tante Adélaïde ou de cet imbécile qui s’est tué devant tes yeux. J’ai toujours pensé que tu pourrais faire carrière dans la Police. Essaie de faire plaisir au Procureur, et tu verras que tout peut s’oublier.

Gwen. »

Combien de temps Dufilet resta t’il prostré sur le lit ? Il n’eut pas le courage de relire. Il ne comprenait rien, sauf qu’il ressentait un vide dans le cœur, dans l’esprit, dans l’appartement. Il jeta cette lettre dans le tiroir secret de sa femme, et s’enfuit.

Il fallait faire quelque chose. Mais quoi ?

Dufilet se précipita dehors, ailleurs, nulle part. Car plus rien n’avait d’importance ni de sens.