Drôle d’époque, il n’y avait pas la télé.

Aujourd’hui, le grand Wallace Souza débarque avec ses caméras sur un cadavre encore fumant. Le crime et l’actualité en direct. Vitesse de l’éclair, exécution, information. La Poste, tu peux toujours courir. Wallace Souza battait les records d’audience. C’est pas comme le Blog du Centre de Cri. Les gens le lise en butinant, d’une page l’autre, ils peuvent lire des trucs de l’an passé, du mois dernier, d’aujourd’hui. Ce ne sont jamais les mêmes gens, ils ne lisent jamais la même chose, jamais en même temps: le contraire d’une émission à audimat.

La télévision de Wallace Souza, c’est une caricature. Son émission, Canal Livre, dans l’état d’Amazonie au Brésil, marchait du tonnerre, du feu de dieu; au Brésil il y a de quoi traquer les grandes figures du crime. Ca tue à gogo, on peut surfer sur le thème de l’insécurité comme Napoléon IV, ça marche encore mieux.Tellement il était populaire que Wallace Souza est devenu député et que toute sa famille était placé dans la municipalité de Manaus. Grâce à la télé! Le crime organisé. Cet ancien policier viré pour une sombre histoire a bien fait de se convertir dans le journalisme, si c’était ça, son idéal de l’information. Aller de l’essentiel à l’essentiel, du meurtre du père à celui du fils et de là, à l’assemblée fédérale.

Et puis il a été obligé d’arrêter. On l’accuse d’avoir lui même commandité les crimes pour fournir son émission. A l’époque de Pierre Denis, notre facteur du temps jadis, c’est inimaginable. Ce n’est pas que l’époque est moins criminel, c’est seulement que tout va moins vite. « Ici, on venait chercher des bonbons » en passant devant la vieille vitrine d’une épicerie fermée. Des vitrines d’épiceries, de merceries, de cafés fermés dans un village, il y en a souvent autant que d’habitants, à Vicq-sur-Gartempe comme ailleurs. C’est l’épicerie de madame Perrin où ça discutait pas mal. Le sociologue Gabriel Tarde dit que l’opinion est ce qui fournit la base de nos discussions quotidiennes. A l’époque, le facteur jouait donc un grand rôle dans la vie des bavards.

Prenez le maréchal, le mari de madame Perrin, un homme sincère. Je vous laisse évaluer la valeur de l’adjectif. Pierre était son nom, il était maréchal ferrant et avait son atelier sur la Place. Un caractère. Autant de bruit à l’intérieur qu’à l’extérieur. Au début de la tournée de Pierre Denis, ça allait, mais à onze heure, plus du tout. La timbale avait tout détraqué. La timbale de trop, ça peut infléchir la tournée dans le mauvais sens. Mais si le facteur buvait, et il partageait sûrement, parfois, sa timbale avec le maréchal (et de quoi parlaient-ils?), on a pas souvenir qu’il se soit un jour endormi dans un fossé.

L’épicerie fermé, à l’angle des routes d’Angles-sur-Anglin et de Saint-Pierre de Maillé, n’est pas la première qu’on rencontrera dans la Grande Rue. C’était une rue animée, commerçante. C’est là que le facteur commençait la journée où il donnait un coup de main au boucher avant de partir sur la route. Fonctionnaire, mais seulement à neuf heure. La journée avait commencé depuis longtemps, tôt. Et le fonctionnaire, on avait le respect, quand il livrait un paquet de tabac, on donnait un pourboire comme au bistrot. Il n’y avait pas toutes ces barrières comme aujourd’hui; si tu n’étais pas là il laissait le paquet de tabac sur la table avec le courrier et le journal.

Drôle d’impression cette tournée N°1 qui commence, cette rue animée qui n’existe plus, seulement quelques rares passants et beaucoup de voitures. Cette rue animée ce jour-là par nos posteurs, loin du Brésil. Depuis que le petit fils de Pierre Denis a décidé de revivre sa tournée, et que nous avons entrepris de vous raconter son périple, chaque jeudi. Le facteur était alors un grand pourvoyeur d’informations. C’est lui qui savait tout, c’était lui la radio, le journal. C’est pour ça que je vous ai parlé de Wallace Souza, pour vous dire qu’un truc de ce genre, entendu à la télé, quelque part dans un village de France, il ne l’aurait même pas imaginé.

Et pourquoi il se couchait si tôt?

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